L'abeille noire, son histoire...
Venu d'Asie du Sud Est il y a plus de dix millions d'années, le genre Apis a donné quatre lignées Apis mellifera, Apis cerana, Apis dorsata et Apis florea.
Ruttner fut le premier à démontrer la répartition des races en quatre grandes lignées évolutives : la lignée Ouest Méditerranéenne où se trouve l'abeille mellifera de la péninsule ibérique, toute l'Europe de l'Ouest et l'Europe du Nord; la lignée Nord Méditerranéenne située dans une enclave à l'Est de l'arc alpin et au Sud de l'arc alpin et des Carpates avec les races ligustica, carnica et cecropia; la lignée africaine Afrique et Proche Orient; et la lignée Orientale aussi appelée caucasienne (race caucasica).
Ces lignées se sont réparties sur des zones géographiques différentes du globe terrestre, et en fonction de frontières géographiques (massifs montagneux, mers ...). Chacune des lignées a évolué selon les ressources spécifiques de leur milieu de vie. Le filtre de la sélection naturelle a éliminé au fil du temps des populations dont les combinaisons de gènes n'entrainent pas de bonnes adaptations au milieu. Elles se sont adaptées aux transitions climatiques et environnementales.
Il n'existe donc pas « une » abeille, mais au moins vingt mille espèces différentes. La lignée Apis mellifera comprend vingt-six sous-espèces. L'abeille noire, ou Apis mellifera mellifera, est donc une sous-espèce ou race de l'une de ces lignées. Elle a colonisé l'Europe de l'Ouest, des Pyrénées jusqu'en Scandinavie.
De couleur brune, munie d'une trompe courte, un corps recouvert de nombreuses sensilles (poils), elle est plus grande que d'autres sous-espèces.
Elle a survécu à deux périodes de glaciation. Elle s'est adaptée aux territoires, sous forme d'écotypes, et aux climats froids européens pour rythmer sa ponte, sa capacité de couvaison, et pour constituer des réserves qu'elle consomme avec parcimonie.
La disgrâce
Pourtant l'abeille noire est tombée en disgrâce auprès des apiculteurs : « agressive, non productive et essaimeuse ». Les apiculteurs vont importer des races d'abeilles, notamment d'Italie, pour répondre à des critères de rentabilité, de domestication. La disparition progressive de l'abeille noire est le fait d'une sélection de l'homme à contre sens de la nature.
Les effondrements de colonies des trente dernières années.
La forte mortalité des abeilles dans les années 80 / 90 victimes des produits phytosanitaires de plus en plus sophistiqués et toxiques, et de l'arrivée du parasite varroa importé d'Asie ont contraint les apiculteurs à se tourner vers d'autres espèces venues de Grèce, d'Italie et d'ailleurs pour reconstituer leurs cheptels.
Les hybridations résultantes de cette intrusion massive d'abeilles de races différentes sur notre territoire conduisent progressivement et inexorablement à la disparition de la biodiversité génétique de l'abeille noire, créant l'effet d'homogénéisation de l'ensemble des populations d'abeilles. L'abeille noire perd son patrimoine génétique. Ces multiples combinaisons sont invisibles pour un observateur. En silence l'abeille noire s'éteint...
Les apiculteurs finissent par n'avoir plus de choix. Ils sont contraints d'élever des abeilles hybrides inadaptées à leur environnement, demandant plus de soins, extrêmement sensibles aux moindres perturbations climatiques. Les apiculteurs compensent ce manque d'adaptation au milieu par l'entretien artificiel des colonies. La dynamique des colonies d'abeilles n'est plus respectée.
Autres facteurs d'affaiblissement
A ce constat s'ajoutent d'autres facteurs qui noircissent un peu plus l'avenir des abeilles :
- l'évolution du climat et les dérèglements climatiques
- l'agriculture intensive, la disparition des haies, les déserts de fleurs
- la pollution industrielle
- la pollution agricole : des néonicotinoïdes aux fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI)
- la mondialisation avec des mouvements d'espèces volontaires, ou involontaires (frelons...)
- les espèces invasives : varroa, nosema, Aethina, les agents infectieux, les virus associés
- les pratiques apicoles, la transhumance
Scénario de l'évolution de l'espèce selon Lionel Garnery
généticien et évolutionniste, maître de conférence, président de la Fedcan (fédération européenne des conservatoires de l'abeille noire)
« Il y a 20 millions d'années, l'Europe est vierge d'abeille. A partir d'un centre de dispersion situé probablement au Proche Orient, il y a une première colonisation de l'Europe qui passe au Nord des chaînes de montagnes par les plaines d'Ukraine, puis la Pologne, l'Allemagne, la France. Cette colonisation s'installe, il y a environ 1 million d'années, dans les régions tempérées de l'Europe. Les abeilles vivent ainsi. Puis, une première glaciation survient il y a 300 000 ans. Les glaciers sont arrivés jusqu'aux côtes de l'Angleterre. Une zone de toundra s'est mise en place au Sud de cette zone rendant impossible la vie aux abeilles. Pendant cette période de glaciation, elles se sont réfugiées sur deux zones de refuge : ibérique (au Sud de la France, en Espagne), et oriental (au Proche Orient et au Caucase).
Suit une période de réchauffement. Les abeilles recolonisent l'aire de distribution avec une petite différence par rapport à l'origine : une barrière s'est probablement levée donnant par la suite la lignée Nord Méditerranéenne.
Puis il y a 20 000 ans, survient une nouvelle glaciation moins importante. Les abeilles du Nord périrent. Les autres vont se réfugier dans les deux refuges précédents ibérique et orientale ainsi que deux nouveaux : l'un dans la péninsule grecque (lignée purement Nord Méditerranéenne) et l'autre italien (avec un mélange avec les abeilles de la lignée Ouest donnant l'abeille italienne).
Avec le réchauffement, les abeilles colonisent de nouveau les territoires mettant en place les races actuelles. Il y a des races de refuge, et des races d'effet de fondation, de colonisation . Apis Mellifera Mellifera est typiquement une abeille de colonisation. Il y a une adaptation progressive au climat tempéré froid. Des différences d'adaptations écologiques, de comportements entre races, et à l'intérieur de certaines races sont observées. Dans certaines régions des écotypes se mettent en place et montrent des adaptations à des zones géographiques ».